La méthode Hugo pour se faire des amis morts, célèbres et influents
Si Jules César commence à vous parler finance, le roi Farouk et Stavisky voudront se mettre de la partie...
Exilez vous l’hiver dans une île battue par la tempête. Jersey ferait bien l’affaire. Louez une grande maison qui grince. Passez vos journées à écrire debout face à l’océan. La nuit venue, éconduisez les Dames blanches, les moines rouges et les gentilhommes décapités qui errent à la recherche du repos éternel. Vous êtes là pour rencontrer des people, pas des has been. Munissez-vous d’un guéridon léger, posez le sur une table. Asseyez-vous à l’écart, laissez le soin d’officier à deux de vos familiers. Une épouse, une maîtresse, un ami fidèle ou un fils perturbé feront l’affaire. À eux d’appâter le mort, à vous de retranscrire ses messages. Quand le mort empoignera le guéridon, il frappera un coup pour A, deux coups pour B, et ainsi de suite jusqu’à vingt-six coups pour Z. S’il frappe cinquante-six coups c’est qu’il parle tibétain. Munissez-vous d’un dictionnaire. Mais les morts dignes de considération, Vercingetorix, Ramsès II, Confucius etc. ne parlent que français.
À partir de là il conviendra d’être patient. Les meilleurs experts estiment qu’il faut en moyenne dix coups pour définir une lettre. Un message un peu intéressant comptera difficilement moins de cent lettres. Prenons par exemple : « La baisse l'emportera cette semaine en Asie, où l'annonce d'une perte de trading de deux milliards de dollars par JP Morgan Chase fera l’effet d’une bombe dans le secteur bancaire » (Jules César à Victor Hugo, 5 mai 1853). Soit environ 140 signes, 1400 coups au bas mot. Un guéridon bien entraîné, nourri à la cire d’abeille, pourra frapper trois coups à la seconde. Mais ce sera peut-être difficile à noter. La méthode Hugo préfère un guéridon Empire, renforcé de plaques de bronze. Il frappera ses deux coups à la seconde, un peu moins dans les côtes. Plus lent, plus sûr. Soit 700 secondes pour délivrer le message, onze à douze minutes au bas mot. Autant vous prévenir : une conversation un peu suivie vous prendra au douzième coup de minuit et ne vous lâchera qu’au lever du soleil. D’autant plus que si Jules César commence à vous parler finance, le roi Farouk et Stavisky voudront se mettre de la partie.
Autre inconvénient : vous appelez Talleyrand, et ce sont Dracula ou Dark Vador qui se pointent. Eh oui, la méthode Hugo n’est pas seulement aléatoire, elle attire aussi les âmes (souvent bien noires) des créatures imaginaires. Ce n’est peut-être pas le plus gros inconvénient. Après tout Dracula en sait peut-être autant que Jack d’Eventreur sur la trajectoire de croissance du groupe Lagardère. Non, le plus gênant c’est que vous verrez arriver des bestioles comme le Lion d’Androclès, l’Anesse de Balaam et la Colombe de l’Arche. De sympathiques animaux, sans aucun doute. Mais dont les compétences boursières nous laissent sceptiques. La méthode Hugo est à réserver aux nécrophiles avertis, qui travaillent sur le long terme.
Victor Hugo et le spiritisme – Aux cours des années 1854 - 1855, Hugo contactera par "table parlante" de nombreux personnages historiques ou bibliques, des démons, etc... Les séances seront stoppées après certaines "malaises" psychologiques de participants.
Dessin spirite obtenu par Hugo et ses compagnons de Marine-Terrace en fixant un crayon au pied de la table des expériences. Il existe au moins 35 autres tracés.